Maurice Fourré

Angers 1876-Angers 1959

   Révélé à l’âge de soixante-quatorze ans par le lancement, en 1950, chez Gallimard, dans la nouvelle collection Révélation dirigée par André Breton, de son premier roman, La Nuit du Rose-Hôtel, sous couverture rose illustrée par la photo (en noir et blanc) d’un phare, Maurice Fourré, surréaliste-sans-le-savoir — et surtout sans-le-vouloir —, est un romancier-poète satirique des mœurs angevines, lui-même hanté par la…révélation celtique de ses fins dernières, en relation éblouissante avec ses premiers balbutiements. Littérairement parlant, il appartient à la famille d’esprit de son voisin de Laval, Jarry, mais aussi de Raymond Roussel, ses exacts contemporains, comme Pierre-Albert Birot et surtout le futur alter ego de Marcel Duchamp Henri-Pierre Roché, autres romanciers retardataires à la publication, sinon à la rédaction, mais ni à l’innovation, ni à la vocation.
Issu d’une famille de la bourgeoisie aisée, qui exploitait à Angers une quincaillerie de gros, Maurice Fourré mène d’abord, dans sa province, petit train d’enfant gâté à la sensibilité exacerbée, à l’imagination vive, « rêveur définitif » (Philippe Audoin citant Breton) qui se réfugiait contre les crises familiales par la lecture de Jules Verne, et la publication à compte d’auteur de ses premiers textes, non encore retrouvés. Titulaire du baccalauréat, ce cancre brillant prépare, dans la ville de l’Apocalypse, un apprentissage de maître-verrier destiné à lui épargner une trop longue conscription. Suite à une déception amoureuse, il obtient de son père d’être envoyé, en représentation vraisemblable de l’entreprise familiale, à Nantes, d’où il rêve d’embarquer pour les îles lointaines, mais multiplie les aventures à quai. Aurait-il déjà cessé d’être « un jeune homme bien pensant » ? (le Douanier Rousseau, cité dans Tête-de-Nègre, Gallimard, 1960).
En 1905, ses obligations militaires remplies, sa famille espère le voir revenir à la raison en le faisant monter à Paris pour devenir le secrétaire de l’académicien René Bazin, romancier catholique allié à sa mère, qui le charge d’entretenir, pour préparer la Revanche de la Guerre de soixante-dix, le moral de la jeunesse, obtenant la parution en revues et périodiques de plusieurs de ses nouvelles et même d’un court roman, Patte-de-bois. Découragé par Bazin de persévérer dans une voie divergeant de celle qu’il lui avait fixée, il ne rechigne pas à mettre sa plume alerte et sa langue bien pendue au service d’autres personnages influents, notamment le député de la Nièvre Gaston Deschamps, critique littéraire au Temps, puis, après avoir été mobilisé dans le train des équipages en 14-18, le député des Vosges Paul Cuny, magnat du textile. À la mort de ce dernier en 1927, il regagne Angers où il mène une vie provinciale, ponctuée de fugues amoureuses et de voyages dans l’ouest de la France. Vers 1939, il commence à donner une forme littéraire aux récits dont il émerveille des auditeurs de rencontre : ce sera La Nuit du Rose-Hôtel, un roman qui raconte, sur le mode sat(y)rico-mystique, une nuit de solstice réunissant les singuliers pensionnaires d’un hôtel de passe, dans le Montparnasse des années vingt.
Le manuscrit, achevé  en 1944, parvient en 1949, par l’intermédiaire de son secrétaire Louis Roinet, au futur exégète du surréalisme Michel Carrouges, qui lui suggère de l’envoyer à Paulhan, et par l’intermédiaire d’un ami commun, le magistrat Stanislas Mitard, au jeune romancier Julien Gracq, lui aussi fervent adepte d’un surréalisme infusé dans les genres traditionnels. Enthousiaste, ce dernier le communique à André Breton, qui, avec émerveillement, y découvre matière à ré-orienter fondamentalement sa doctrine, en principe révolutionnaire, dans le sens d’une « révélation » traditionaliste, le matérialisme marxisant cédant alors, au nom du merveilleux, le pas à un néo-spiritualisme celtisant. Pour lancer sa nouvelle découverte, Breton organise, en juin 1949, à l’hôtel Littré, rue Littré, à deux pas du lieu où se déroule l’action de La Nuit du Rose-Hôtel, une lecture publique de ce nouveau roman, en présence du tout-Paris des arts et des lettres sympathisant du surréalisme. Devant le succès remporté, Paulhan fait signer à Fourré son contrat d’édition chez Gallimard.

Maurice Fourré

    À cette occasion, le débutant tardif retrouve son jeune ami Carrouges, qui lui présente le futur « nouveau romancier » Michel Butor. Les deux complices n’ont pas de difficulté à obtenir la contribution de Fourré au numéro spécial de la revue Arts et lettres sur Jules Verne, qu’ils ont, dès cette époque, l’audace de prendre au sérieux. Malgré leur faveur, et celui des principales revues littéraires du demi-siècle, La nuit du Rose-Hôtel est loin d’obtenir, sinon dans la ville natale de son auteur, les suffrages de la grande presse, donc ceux du grand public. En bisbille avec Gallimard, Breton met un terme à ses fonctions de fondateur-directeur de la collection Révélation, qui ne comptera donc que ce seul et unique titre. Dans la foulée, il se lasse des sollicitations persistantes de son poulain blanchi sous le harnais, et lui « signifie » catégoriquement d’y mettre fin. Y aurait-il, dès la fin de l’année 1950, de la brouille dans l’air ? Depuis l’origine du mouvement surréaliste, qui soigne sa longévité officielle, c’est la règle plutôt que l’exception, et « l’Affaire Carrouges » menace, aboutissant, en 1954, à l’expulsion de l’exégète dominicain. Pour comble d’infortune, le nouveau romancier essuie, malgré le soutien persistant de Paulhan, le refus, dès 1952 de Gallimard de publier son grand œuvre, Tête-de-Nègre, plus substantiel, en profondeur comme en surface, que La Nuit du Rose-hôtel, mais, selon l’éditeur, trop touffu. Les remaniements exigés ne suffisant pas à le faire accepter, Fourré brosse, en quelques mois, un divertissement de haut vol, La Marraine du sel, inspiré par « l’Affaire Marie Besnard », qui défraie alors la chronique (une commerçante de Loudun est accusée d’avoir empoisonné son mari, puis toute sa famille). Escomptant le succès immédiat, Gallimard ne fait pas de difficulté à publier, en 1955, ce roman dont le registre poétique va bien au-delà du sujet apparemment traité. Mais, là encore, la critique met le holà, ne favorisant pas la poursuite de la carrière de l’auteur. Dans sa province, Fourré, octogénaire, poursuit sa collaboration à la presse locale, qu’il abreuve en nouvelles, chroniques et saluts amicaux. Avec son ami breton Théophile Briand, il participe en outre, sur le plan littéraire, à la vie associative des provinces de l’Ouest. Ça ne l’empêche pas d’entreprendre, en 1956-57, la rédaction d’un quatrième roman, Le Caméléon mystique, qui sera lui aussi refusé par Gallimard, puis d’un cinquième, Fleur de lune, que sa mort, en 1959, ne lui laissera pas le temps d’achever. Ayant une seconde fois remanié Tête de Nègre, il aura pourtant la joie d’en signer, pour 1960, le contrat de publication.

Si l’oeuvre de Maurice Fourré fut admirée de Gracq, Cocteau ou Bachelard, ce fut un échec commercial, et il fallut toute l’autorité de Jean Paulhan pour qu’après le  premier roman, Gallimard publie La Marraine du sel et Tête-de-Nègre.  Néanmoins,les travaux de Philippe Audoin et de Jean-Pierre Guillon  (qui a republié les nouvelles des années de jeunesse), la mise en scène des quatre romans (adaptés au théâtre par Claude Merlin sous le titre Les Éblouissements de M. Maurice) donnée à Paris, au Lavoir moderne parisien en 1999, la production des deux films vidéo de Bruno Duval sur l’auteur, ont contribué à entretenir la connivence des lecteurs, encore trop rares, de Maurice Fourré, auteur dont le génie, nourri d’un imaginaire proprement angevin, transcende cependant très largement les frontières de sa province et même celles de ce Grand Ouest dont il se réclamait.