C’est en vain qu’à Montparnasse un ordinaire hôtel de passe tente de se faire passer pour pension de famille respectable. Un horrible jour de juin 1922, la brigade des mœurs vient mettre le nez dans ses affaires. De l’entrée aux combles, le Rose-Hôtel rougit de confusion. Quelle dénonciation calomnieuse a-t-elle bien pu le frapper ? À l’envisager, par-delà toute référence implicite à l’Art poétique de Boileau, sous l’angle onomastique qui convient à la poésie jusque dans le roman sat(y)rique, le Rose-Hôtel, c’est l’AUTEL d’EROS. Mais de quel éros s’agit-il au juste ? Aux antipodes de toute description réaliste, l’érotisme de Fourré, nourri de suggestions insidieuses, est un érotisme fourré. Pour dévoiler les mécanismes les plus secrets du désir, nichés dans les replis de la perversité mentale, il fait la part belle aux effets de langue. Regorgeant de qualificatifs baroques, sa langue elle-même est fourrée : « Le matou phosphorescent invite la chatte tigrée sur la glissante passerelle du zinc » (Le Nouvel Attila, n°5à7). Aux antipodes de toute linéarité chronologique, la suite des chapitres se déroule comme une suite de tableaux rêvés sur la scène du théâtre de la vie, dont l’annonce est elle-même un poème.
Table des matières :
Cortège des heures
L’ombre de Madame Bouteille
La Rose
Congrès des sourires
Ma Rosine
Les iles d’amour
Le beau train bleu
L’archer du jardin
Ma cage du cardinal
Mademoiselle Silence
On soupera dans l’auberge de Rose
Le petit équilibriste
L’oiseau chantant
Les anges nous quittent
Le domino noir et blanc
Cirque en Océanie
Message de Madame Gouverneur
Soleil de l’Equateur
La colonne de brumes
Les grelots tintent à la porte
Le domino noir et blanc
(extrait)
……D’un côté la négresse Babila qui m’avait nourri ; de l’autre, la cuisinière bretonne, qui vivait dans un monde silencieux d’intersignes, avec le cortège familier de ses défunts. Quand venait le soir, Babila me faisait peur. Elle me disait : « Voici la nuit nègre. Tu vas mourir, Enfant Blanc. » …
Elle venait me chercher dans mon lit pour me faire danser. Et je voyais ses dents qui brillaient. Elle me disait : « Viens faire peur à Maman. » Et je sentais sur mon cou ses grosses lèvres épaisses. Elle chantait la chanson de Grand-Mère : Dansez Balata, Dansez Balata ! J’entendais les cloches des bateaux qui piquaient trois heures. Je retrouverai toujours ses incantations magiques, ses sortilèges, ses maléfices. Elle écrivait ses significations d’envoûtement sur de petits papiers qu’on rencontrait dans les vêtures, dans les tiroirs, dans de petites boîtes. Quelques unes visaient ma pauvre mère. Et puis, c’étaient des sorties, des courses sur les quais, des fredaines, toute une part de vie secrète, de passion et facilités tombantes. Elle a été assommée un soir de Carnaval, rue de l’Arche Sèche, par un DOMINO NOIR ET BLANC qui la suivait depuis le pont de Pirmil. Je ne l’ai jamais oubliée. C’est Babila qui m’a fait ce que je suis, et qui m’a perdu. Mon père a suivi l’enterrement, habillé tout en noir. Et moi je tenais dans la main un petit bouquet d’immortelles entouré d’une dentelle de papier blanc. Et puis j’ai grandi. J’allais boire du muscadet et manger des grenouilles à Basse-Goulaine. J’ai failli me noyer quai de la Fosse, un soir que j’avais pris trop de plaisir à la grande foire d’été du Cours Saint-Pierre. Je dansais sur la passerelle d’accostage d’un navire. Il y avait des accordéons sur le pont. Les lumières des maisons mal famées m’avaient aveuglé.
– Dansez, Balata ! Dansez, Balata ! Boum ! Boum !
Gouverneur, tristement :
– Boum ! Boum !