Au cours de l’agonie de sa maîtresse Mariette Allespic, Clair Harondel, « représentant en fanfreluches joyeuses et funèbres », exorcise peu à peu, dans la cité géométrique de Richelieu (Indre-et-Loire), les charmes ensorceleurs de cette « Marraine du sel », empoisonneuse par amour de son brave mercier de mari, qui menace désormais sa propre fille Florine, accourue des États-unis à son chevet, et Clair lui-même, en proie à de sombres réflexions consacrées à la faillite de toute vie conjugale, après s’être réveillé de la passion amoureuse qui risquait de l’anéantir. De telles réflexions, qu’il partage avec feu Abraham Allespic, plus « libraire » que mercier, sont aussi celles de l’auteur lui-même, qui, pour se consoler de ses propres déceptions éditoriales et autres, relit Madame Bovary à la lumière de Rabelais, Montaigne et Montesquieu, ses auteurs de chevet, tandis que son héros leur préfère Dumas et Jules Verne, dans un volume duquel il déchiffre l’annonce de sa propre mort. À l’époque de l’essor historique du « Nouveau roman », cette conception du héros victimisé comme lecteur fait involontairement écho à la Recherche du temps perdu dans la prise de conscience par Fourré de sa propre modernité littéraire, en marge d’un surréalisme blanchi sous le harnais.
Réédition aux Editions de l’arbre vengeur, avec une préface de Bruno Duval, avril 2010.
Table DES MATIÈRES :
Les chapitres :
1ère partie
Prismes
La couronne de pensées
La nuit géométrique
Opales
La flèche de Jais
Parfums
La bulle d’air
Chant huitième
2ème partie
Cires virginales
Mousselines
Le baiser solaire
Le billot de cristal
Le lacet ferroviaire
Le rideau bleu
Pirouette
La prairie des Luisettes
Le bois de l’Ermite
Phosphores
3ème partie
Tabou
Miroitements
Le chapelet d’étincelles
Reflets
Miels
Mirabelle
La nébuleuse
Le rendez-vous mélancolique
Le souper sous les étoiles
Petite lumière
La fleur mystique
Vibrations
Stop
Extraits :
Les mannequins de cire fondaient au soleil. On entendait des exclamations et des rires, des cris d’horreur, dans la foule des curieux grossie de tout les promeneurs dominicaux, dont certains avaient été prévenus de l’évènement jusque sous les ombrages du parc.
Il y avait de grands instants de silence, des ricanements énormes.
Des méchants se réjouissaient devant la dilapidation de deux formes humaines. Parfois une voix d’homme s’élevait. On écartait les enfants. Un citoyen ayant donné des ordres. Mais on ne savait que faire pour interrompre le curieux et magique spectacle dominical. Mme Allespic avait emporté la clef du magasin, dont par négligence inhabituelle ou malchance étrangement singulière, un double n’avait été confié à personne.
[…]
Le nez du marié avait fondu le premier, puis ce personnage tiré à quatre épingles, familier à tout Richelieu de la semaine et des dimanches, avait perdu ses cils, et de grosses larmes grasses avaient coulé de ses joues sur le plastron de son smoking d’apparat publicitaire. Son visage exprimait une tristesse indicible, il se dissolvait et vieillissait furtivement de minute en minute, avec de sourdes hâtes.
[…]
La mariée était effrayante à voir. Personne ne songeait à rire de son infortune suprême. Moins tôt atteinte et affligée que son conjoint, sous la protection vaporeuse du voile nuptial, qui tamisait l’accablement solaire et ses radiations implacables sur la place du Marché, la forme charmante et frêle s’était décomposée plus rapidement, quand le soleil avait tourné derrière les flèches de Notre-Dame.Le visage tout entier, amenuisant son étroit ovale, s’était écoulé, et sa fine contexture s’épanchait en stalactites épaisses sur sa jeune poitrine. La coulée des cires liquoreuses avait dégagé, puis mis à nu, tout un solide système dentaire, qui s’entrebaillait après avoir paru sourire, sur le gouffre de la bouche ouverte où se propageait la fonte des cires.
[…]
Yeux bleux… Luisantes et lumineuses, les prunelles vitrières de ma jeune soeur sans visage suspendaient leurs fixes regards à des fils de fer mobiles, que maintenait l’ossature cachée sous les mousselines… Et la confrèrie, progressivement plus muette de certains spectateurs mystiques restait immobile, béante, considérant dans le mirage du vitrage, autour de la grâce liliale de la novice défunte, sur leurs visages sillonnés des glissements fluviaux de la sueur, la liquide couronne de l’agonie au pilori de vie soudain désincarnée.
Yeux bleux…
Clair n’était absent… Mon coeur, mon âme étaient là, au premier rang…
Yeux de ciel.
Yeux de mer. Yeux de rêve. Dans quelle immensité bleue ai-je rencontré ces yeux de vie, ou de mort? …
[…]
Une magique aiguille dorée transperçait, sous les satins virginaux de la mariée, déshonorée dans sa dépouille par les éjections cireuses, un sacrilège cœur animal, qui fut expressément identifié par le boucher Branchu, de la rue de l’Écluse.